Interview de Charles Beaudouin, Directeur Général du COGES organisateur d’Eurosatory 2022

Interview de Charles Beaudouin, Directeur Général du COGES organisateur d’Eurosatory 2022

Interview du Général Charles Beaudouin, Directeur Général du COGES, filiale à 100 % du GICAT et organisatrice du salon Eurosatory, sur les grandes tendances de cette édition. Participation, nouveautés, nations représentées, domaines d’intérêt… Il nous livre son regard d’expert.

Par Joseph Roukoz pour Eurosatory Report

Après quatre ans, Eurosatory est de retour. Comment envisagez-vous la participation ?

Nous avons débuté la commercialisation d’Eurosatory 2022 en février 2021. À six mois de l’évènement, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que l’édition 2022 sera proche de celle de 2018, qui avait constitué un record, conservant donc son premier rang mondial, tant en termes de nombres d’exposants et de pavillons nationaux que de visites de délégations officielles.

Quelles sont les nouveautés que le COGES propose pour améliorer encore l’attractivité de ce qui est considéré comme la référence en matière d’exposition de défense terrestre ?

Outre une représentativité industrielle (exposants, visiteurs) et institutionnelle (exposants, délégations officielles) mondiale toujours plus affirmée, avec de nouveaux pays participants, Eurosatory favorise la présentation en avant-première de nouveaux matériels majeurs, services et technologies dans les domaines terrestres et aéroterrestres.

Pour cette édition 2022, nous renouvellerons notre zone dédiée aux start-up, “l’Eurosatory Lab”, nos démonstrations dynamiques et statiques de matériels et services, plus nombreuses, en nous attachant à intéresser aussi bien les forces armées que celles de sécurité et les ONG. Un must sera sans conteste la présentation dynamique d’un nouveau démonstrateur de capacités, dont nous sommes très fiers, que nous appelons HELPED by COGES, destiné à apporter une réponse globale et adaptée aux crises humanitaires issues de catastrophes, tant naturelles que provoquées par l’homme. Des démonstrations dynamiques de solutions industrielles NRBCe et de simulation utilisées par les armées sont attendues.

Autre nouveauté, des zones d’entertainment en lien avec le secteur d’activité permettront aux participants du salon de passer des moments conviviaux. Les visiteurs seront également, pour la première fois, sollicités afin de voter pour leur start-up coup de cœur au sein de l’Eurosatory Lab.

Enfin, pour préparer au mieux la participation au salon, nous sommes attentifs à proposer un site internet convivial et efficient dédié à l’évènement ainsi que des modalités d’inscription toujours plus aisées, par le biais d’un chatbot par exemple. De même, un logiciel téléchargeable encore plus performant permettra de se déplacer et de s’orienter aisément sur le salon. Le Daily sera disponible en versions papier et numérisée, cette dernière étant diffusée un peu en avance !

De votre position, voyez-vous une augmentation considérable en termes d’exposants dans certains domaines, par exemple les contre-UAS ou autres ? Et un domaine dont l’intérêt diminue ? Dans quelle mesure l’intérêt croissant pour la confrontation entre pairs pourrait-il affecter Eurosatory 2022 ?

En tant qu’ancien général sous-chef d’État-major de l’Armée de Terre française en charge des capacités, je reste extrêmement attentif à l’évolution des menaces dans le monde. Le retour de la conflictualité entre États souverains là où, il y a peu encore, le paradigme était la guerre terroriste asymétrique au sein d’États faillis ou en difficulté, a changé la donne depuis quelques années. Trente ans de confort opératif depuis la chute du Mur ont révélé, dans toutes les armées du monde, des failles capacitaires non négligeables. Si on ajoute à cela les nouveaux champs d’affrontement que sont le Cyber ou l’Espace, il y a urgence pour que les armées du monde se mettent à la page. Je dis “urgence”, même pour l’accession à des capacités qui prennent dix ans ou plus. La pensée des Etats-majors se doit d’être à la fois top-down par une vision et un projet capacitaire moyen/long terme adapté à la géopolitique, à la géostratégie et aux moyens financiers du pays, mais également bottom-up par une adaptation réactive permanente en cycle court. Les nouvelles technologies et leur pouvoir égalisateur sont de nature à porter de sérieux coups à une armée. C’est d’autant plus vrai pour les armées les moins expérimentées actuellement. Bien évidemment, ces réflexions valent aussi pour les forces de sécurité, challengées par les réseaux sociaux et l’accession aisée aux drones, moyens qui offrent une vraie capacité de manœuvre aux black blocks ou aux terroristes profitant de manifestations en ville, ou lors de grands évènements.

Aussi, Eurosatory se veut et se doit de présenter une offre complète d’équipements et de services représentative des défis actuels et à venir. Je pense qu’aucune représentation officielle ou privée ne quittera Eurosatory sans disposer de solutions, réflexions et idées nouvelles. Cela est essentiel.

Le renforcement de l’offre porte donc sur les segments qui ont fait l’objet d’une réduction capacitaire forte (lutte anti-aérienne, artillerie, notamment de précision), l’accès à de nouvelles capacités (drones munis d’une large palette de charges utiles) et la lutte face aux nouvelles menaces; contre-UAS effectivement, résilience face aux attaques cyber, capacité à évoluer en environnement brouillé et donc GPS denied quand tout repose aujourd’hui sur le GPS, protection des postes de commandement très vulnérables par leur rayonnement et leur relative obésité. Si l’offre de service drone reste en expansion, l’offre robotique est d’une autre difficulté d’emploi en environnement terrestre coupé et doit s’appuyer, au-delà du robot proprement dit, sur un système de commandement et de liaison opérateur-robot efficient et robuste. Cette offre, en matière de robot équipier, reste aujourd’hui plutôt en devenir mais prendra de l’ampleur dans les années à venir avec le développement des capacités d’intelligence artificielle. Le sujet de la connexion des capacités, qu’elles soient terrestres, aéroterrestres ou aériennes, est central, car il permet une meilleure compréhension de la situation et de l’action. Tout comme est essentielle la résilience de ces capacités au brouillage.

Il n’y a pas à proprement parler de domaine dont l’intérêt diminue, tant l’enjeu est de pouvoir disposer d’un spectre le plus complet possible de capacités, en fonction de ses moyens. Les offres de blindés, par exemple (Scorpion en est un exemple flagrant), demeurent à haut niveau. Certes, dans le domaine des chars de combat, on assiste plutôt à une recherche d’amélioration des capacités (Hard-Kill par exemple) qu’à un renouveau. La simulation est plutôt sur une ligne de stabilité en attendant, elle aussi, les apports de l’intelligence artificielle pour un emploi élargi aux opérations proprement dites.

L’édition 2018 a vu de nombreuses initiatives visant à attirer des start-up et PME high-tech, majoritairement françaises. Envisagez-vous la possibilité d’étendre ces opportunités à des entités étrangères, c’est-à-dire européennes ?

C’est plus qu’une possibilité, c’est une volonté. Et ce ne sera pas limité à des entités européennes. Eurosatory est un salon à vocation internationale où les exposants non français sont très majoritaires (généralement entre 60 et 65 % des sociétés sont étrangères). Il se doit de présenter les tendances mondiales en matière d’innovation high-tech, s’agissant tant des grands groupes que des PME et des start-up regroupées sur l’Eurosatory Lab (en 2018, nous avions 30 % de sociétés étrangères dont plus de la moitié étaient européennes : Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Pologne ou encore Royaume-Uni). Un effort commercial a été fait pour attirer des start-up avec de nombreuses prises de contacts sur des salons à l’étranger ou via des incubateurs/accélérateurs étrangers. Ce fut le cas notamment en janvier lors du Consumer Electronic Show, le plus grand salon dans le domaine de l’innovation (grand public et secteur industrie) du monde.

Au niveau de l’UE, un certain nombre d’initiatives sont prises pour développer de nouvelles technologies et de futurs systèmes communs. Eurosatory disposera-t-il d’un espace dédié pour mettre en lumière ces initiatives, qui restent parfois méconnues ?

Eurosatory 2022 s’inscrit dans un contexte européen très marqué, à trois niveaux.

Tout d’abord, sur le plan communautaire, nous serons le premier salon majeur depuis le début des appels à projet du Fonds Européen de la Défense, à l’été 2021. Le FED est un programme structurant pour l’industrie de défense européenne, en engageant jusqu’en 2027 plus d’un milliard chaque année pour la R&D de ce secteur. Cette dynamique est majeure pour le secteur terrestre, comme l’ont démontré les premiers appels en 2021 : 68,5 millions pour le NRBC, 133 millions pour la transition énergétique ou encore 150 millions pour le thème ground combat.

La France est également engagée dans des coopérations avec ses voisins et notre salon sera l’occasion de le souligner. C’est le cas de l’hélicoptère de combat Tigre MK 3 avec l’Espagne, et demain j’espère avec l’Allemagne, du programme Scorpion qui verra le jour dans trois ans, quand débuteront les premières livraisons du GRIFFON à la Belgique, avec qui la France entretien déjà de nombreuses coopérations opérationnelles.

Enfin, Eurosatory se déroulera pendant la Présidence Française de l’Union Européenne (PFUE) et la présence européenne devrait être d’autant plus marquée ! Nous attendons d’ailleurs la venue d’une très haute autorité des instances européennes.

Concrètement, les équipes du COGES avec l’appui du GICAT, qui est en contact permanent avec Bruxelles et les institutions européennes, travaillent auprès de ces dernières pour garantir leur présence lors du salon, que ce soit au travers de stands ou de conférences. Nous avons ainsi déjà établi avec DG DEFIS 1, IRIS 2, SYNOPIA 3, des sujets de conférence sur le Fonds Européen de la Défense, sur l’autonomie stratégique européenne, sur l’avenir de la défense spatiale européenne…

Au-delà des institutions et forces européennes (DG DEFIS, EUMS 4, Eurocorps…), nous avons naturellement pour objectif de rassembler des organismes de l’OTAN (NAMFI 5, NSPA 6…).

Défense contre Sécurité : force est de constater que défense et sécurité intérieure se chevauchent parfois, et Eurosatory a élargi son champ dans les éditions précédentes au monde de la sécurité. Que prévoyez-vous pour Eurosatory 2022 ? L’évènement parisien est né comme une exposition exclusivement consacrée à la défense à la fin de la Guerre Froide, et la défense devrait probablement rester le sujet central. Où placez-vous l’équilibre optimal entre les deux mondes ?

Défense et Sécurité s’inscrivent dans un continuum d’action justifié et accéléré par les vagues d’attaques terroristes qui secouent depuis plus de vingt ans la France, l’Europe et le monde. Ce continuum se réalise au travers des équipements mais aussi dans la nécessaire juxtaposition des systèmes de localisation, de commandement et d’information pour conduire, le cas échéant, ces opérations conjointement sur le terrain. Une offre Défense seule n’a depuis longtemps plus de sens et, depuis des années, Eurosatory élargit régulièrement son offre mondiale au secteur Sécurité, très diversifié par ailleurs.

Sait-on qu’aujourd’hui les systèmes proprement létaux ne concernent que 10% de l’offre du salon ? Si l’offre ne diminue pas, elle s’est étendue à bien d’autres systèmes que les systèmes d’armes. La présentation en avant-première sur le salon en juin prochain d’une réponse globale HELPED by COGES aux crises humanitaires consacre cette évolution. Toutes ces offres procèdent d’une logique de combinaison d’effets, adaptée à une menace ou un évènement survenu, particulier, nécessitant un système de commandement et de contrôle temps réel, le plus souvent en projection sur une zone dédiée. Eurosatory dispose du savoir-faire pour présenter et valoriser de manière optimale cet ADN commun, aux finalités aussi différentes que complémentaires.

Aussi, au-delà de la thématique propre à HELPED déjà développée supra, nous pourrons compter sur la présence du Ministère de l’Intérieur, de présentations d’équipements et de services propres aux forces de police et de gendarmerie, mais aussi d’une zone thématique dédiée à la sécurité des infrastructures et une autre à la sécurité civile et lutte contre l’incendie (et d’autres encore). Des conférences et démonstrations dynamiques de forces de sécurité accompagneront ces expositions qui feront l’objet de visites de délégations officielles sécurité toujours plus nombreuses.

En l’absence habituelle d’un pavillon chinois et russe, comment Eurosatory peut-il encore se prévaloir d’être un salon vraiment international ? Sachant que, de nos jours, maintes armées du monde, principalement en Asie, Afrique, Moyen-Orient et Amérique latine, utilisent couramment du matériel militaire chinois et russe…

C’est un vrai sujet. Eurosatory est le premier salon mondial de Défense et de Sécurité. Il se doit de permettre aux délégations officielles de tous les continents de rencontrer des exposants de toutes les régions du monde, tout en respectant, bien évidemment, les contingences imposées par la politique internationale. C’est tout à fait compatible s’agissant de la Russie et de la Chine, deux États majeurs en matière de capacités. Ce n’est pas parce qu’un pavillon national n’est pas présent que les entreprises du pays sont absentes, le pavillon signifiant simplement un niveau supérieur d’investissement du pays en matière de fédération de ses exposants. De fait, la Russie et la Chine seront bien représentées sur Eurosatory 2022 au travers de plusieurs de leurs sociétés de Défense et de Sécurité.

Avez-vous déjà des nouveaux arrivants à Eurosatory, que ce soit en termes de nations ou de grands exposants novices ?

Nous avons à ce jour des exposants venant de plus de 45 pays, dont un exposant de Macédoine du Nord (nouveau pays), et 18 pavillons nationaux, dont un nouveau pavillon national lituanien (nous avions déjà des exposants du pays mais jamais de pavillon). Nous faisons un effort sur des régions (Afrique, Asie centrale et du Sud-Est, Moyen-Orient, Amérique Latine) moins représentées en industriels que d’autres continents.

  • 1 Directorate-General for Defence Industry and Space
  • 2 Institut de Relations Internationales et Stratégiques
  • 3 Indépendant et non partisan, reconnu d’intérêt général, le think tank Synopia, créé en 2012, effectue des analyses sur les enjeux de gouvernance, et élabore des propositions concrètes à destination des décideurs afin d’améliorer la gouvernance publique, la gouvernance des entreprises et les enjeux de cohésion, en France et en Europe
  •  4 European Union Military Staff
  • 5 NATO Missile Firing Installation
  • 6 NATO Support and Procurement Agency

 

Joseph Roukoz pour Eurosatory Report

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